Avec des collègues sénatrices et sénateurs de la délégation aux droits des femmes du Sénat nous avons interpellé par lettre ouverte trois ministres du gouvernement. Voici le contenu de ce courrier.
Paris, le 23 janvier 2020
Madame la Garde des Sceaux,
Madame la Secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations,
Monsieur le Secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé,
La volonté de mieux protéger les mineurs des violences sexuelles s’est trouvée à l’origine de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
La prise de conscience d’insuffisances du code pénal dans ce domaine avait résulté, à l’automne 2017, de deux décisions de justice très médiatisées concernant des relations sexuelles entre des adultes et de très jeunes mineures – en l’occurrence, des filles de 11 ans.
Un large débat s’était alors ouvert sur les modifications à apporter à la loi pénale pour sanctionner les prédateurs sexuels à la hauteur de la gravité des faits.
Il était apparu que les critères de « menace, violence, contrainte ou surprise » sur lesquels s’appuie le code pénal afin de caractériser le crime de viol posaient immanquablement la question du consentement de la victime. Or l’idée même qu’un enfant ou un adolescent puisse consentir en toute connaissance de cause à un rapport sexuel avec un adulte est tout simplement inconcevable.
La nécessité de définir par le code pénal un interdit clair concernant toute relation sexuelle entre une personne majeure et un enfant ou un adolescent a émergé du débat, de même que l’idée de criminaliser tout acte de pénétration sexuelle par un adulte sur de très jeunes victimes. S’est également posée la question du seuil d’âge en-deçà duquel devrait être fixé cet interdit : 13, 14 ou 15 ans ?
La loi du 3 août 2018, malgré les annonces qui ont accompagné sa préparation, n’a fixé ni nouvel interdit, ni seuil d’âge. Les amendements déposés au Sénat pour aller dans ce sens ont été rejetés.
Nous estimons que le moment est venu de rouvrir ce débat, de récentes affaires ayant une nouvelle fois mis en cause la capacité de la loi à sanctionner efficacement les prédateurs sexuels qui prennent pour cible des enfants ou des adolescents.
Selon nous, la loi du 3 août 2018, malgré de bonnes intentions initiales, n’a pas réglé cette question. Elle n’aurait pas permis de sanctionner à la hauteur de la gravité des faits les agresseurs des filles de 11 ans que nous évoquons plus haut. La même remarque vaut pour les agissements récemment mis en lumière par l’actualité.
D’autres pays européens ont déjà inscrit dans leur loi pénale des seuils d’âge assortis de lourdes sanctions pour les crimes sexuels commis sur les jeunes mineurs. Cette orientation, que nous préconisons, n’est donc pas inédite.
Nous le savons, les droits de la défense font partie du débat sur les évolutions législatives auxquelles nous aspirons. Nous estimons que les pays qui ont avancé sur ce point, comme la Grande-Bretagne où les violeurs d’enfants de moins de 13 ans encourent la réclusion criminelle à perpétuité, ne sont pas réputés bafouer ces droits.
Les droits de la défense, nous semble-t-il, sont mieux respectés dans les cours d’assises que dans les tribunaux médiatiques qui se sont exprimés au cours de ces derniers mois.
Madame la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations, vous commentiez ainsi devant les médias, le 24 novembre 2017, en amont de la discussion de la future loi du 3 août 2018, les objectifs que vous poursuiviez par ce texte : « Ce que nous créons, c’est un seuil de présomption de non- consentement, donc une mesure de protection pour faire en sorte que les enfants de moins de 15 ans ne soient jamais interrogés sur leur […] consentement lors d’un rapport avec un majeur. […] L’âge de 15 ans est recommandé par un certain nombre d’experts et de psychiatres. Nous regardons l’âge de la maturité affective, nous regardons l’âge médian en Europe… Nous ajoutons une protection. Actuellement lorsque vous avez 13 ou 14 ans, vous devez apporter la preuve d’avoir été violé. […] Plus jamais, après le vote de cette loi, un enfant de 10 ou 11 ans ne devra apporter la preuve du viol ». Nous partageons ces objectifs.
Le 15 janvier 2020, vous avez déclaré que l’on ne peut « donner un consentement éclairé à un rapport sexuel avec un adulte quand on a 13 ans ». Vous estimez que la loi de 2018 a constitué un progrès dans ce domaine. En décidant de confier à une députée « une mission d’évaluation de cette loi, pour en étudier les effets réels», vous exprimez toutefois implicitement des doutes sur l’effectivité de ces avancées. Nous partageons cette interrogation.
La question de la criminalisation des actes de pénétration sexuelle commis par des adultes sur de très jeunes mineurs et la définition du seuil d’âge qui doit en être le corollaire sont, nous en avons conscience, fort complexes. Mais nous n’acceptons pas que des considérations techniques, assénées comme des arguments d’autorité, servent de prétexte à éluder cette difficulté, comme cela a été le cas en 2018.
Les demandes qui s’expriment actuellement pour mieux défendre les enfants contre les prédateurs sexuels invitent le législateur à se mobiliser.
Qui aurait pu prévoir en 2016, lors de la discussion de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale, promulguée le 27 février 2017, que le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur des mineurs passerait de 20 à 30 ans à compter de la majorité de la victime dès 2018 ? En 2016, les amendements déposés à cet effet avaient été écartés. Or ce qui était inconcevable en 2016 a été voté deux ans plus tard, après une prise de conscience généralisée de la difficulté particulière, pour ces victimes, de libérer leur parole.
Nous vous demandons de vous inspirer du précédent de la prescription pour agir de même sur la criminalisation des relations sexuelles entre adultes et jeunes mineurs. Faut-il fixer le seuil d’âge à 13, 14 ou 15 ans ? Faisons confiance au débat parlementaire pour en décider.
Nous comptons sur vous pour favoriser l’adoption de ces mesures par amendement, lors de la discussion prochaine d’un texte législatif approprié, par exemple dans le domaine des violences intrafamiliales.
Nombre de nos concitoyens aspirent à cette réforme. Ne les décevez pas. Les esprits sont mûrs pour une telle évolution, y compris au Parlement.
Dans l’attente de vos réponses, nous vous prions d’agréer, Madame la Garde des Sceaux, Madame la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations, Monsieur le secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la santé, l’expression de notre haute considération.
Annick BILLON, sénatrice de la Vendée, présidente de la délégation aux droits des femmes
Liste des cosignataires de cette lettre ouverte :
Anne-Marie BERTRAND, sénatrice des Bouches-du-Rhône
Maryvonne BLONDIN, sénatrice du Finistère
Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, sénatrice de Paris
Max BRISSON, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, vice-président de la délégation aux droits des femmes
Marta de CIDRAC, sénatrice des Yvelines
Laurence COHEN, sénatrice du Val-de-Marne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes
Roland COURTEAU, sénateur de l’Aude
Laure DARCOS, sénatrice de l’Essonne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes
Chantal DESEYNE, sénateur de l’Eure-et-Loir
Nassimah DINDAR, sénatrice de La Réunion
Nicole DURANTON, sénateur de l’Eure
Martine FILLEUL, sénatrice du Nord
Victoire JASMIN,sénatrice de la Guadeloupe
Loïc HERVÉ, sénateur de la Haute-Savoie
Marc LAMÉNIE, sénateur des Ardennes, vice-président de la délégation aux droits des femmes
Claudine LEPAGE, sénatrice représentant les Français établis hors de France, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes
Valérie LÉTARD, sénatrice du Nord, vice-présidente du Sénat
Viviane MALET, sénatrice de La Réunion
Michelle MEUNIER, sénatrice de la Loire-Atlantique
Marie-Pierre MONIER, sénatrice de la Drôme
Christine PRUNAUD, sénatrice des Côtes-d’Armor
Laurence ROSSIGNOL, sénatrice de l’Oise, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes
Dominique VÉRIEN, sénatrice de l’Yonne
Comment voulez-vous que ça avance avec un gouvernement vérolé par les accointances pédocriminelles.