Une tribune parue dimanche 9 octobre dans le JDD, sur la réforme de la police judiciaire a été signée par 62 sénatrices et sénateurs du groupe Socialistes, Écologistes et Républicains et les 31 députés du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale.
« Navarro, Julie Lescaut, le commissaire Moulin, Laure Berthaud, Maigret avant eux… Ces visages familiers de la PJ (police judiciaire) sont entrés dans notre culture collective. Personnages de fiction, ils incarnent aussi la réalité de ces services spécialisés dans la criminalité organisée et les affaires les plus complexes, des flics capables de travailler sur le temps long, de réunir preuves et témoignages, indices et arguments. Ils côtoient procureurs de la République et juges d’instruction.
Ce sont des policiers nécessairement à part, disposant de temps et de moyens différents pour mener à bien leur mission et s’attaquer efficacement aux très gros délinquants. Ce modèle fonctionne, il inspire d’autres pays. Mais il est aujourd’hui menacé.
La réforme de la police actuellement expérimentée dans plusieurs départements, sans que quiconque dispose du moindre début d’évaluation, risque de faire disparaître cette PJ si elle est finalement généralisée et appliquée sans qu’aucune leçon n’ait été tirée des expérimentations. Les policiers de la PJ, dépendant actuellement du niveau supra-départemental, seraient « réinjectés » dans des services départementaux fusionnés ; ils pourraient effectuer un travail n’ayant plus rien à voir avec celui de la PJ, comme l’encadrement de manifestations sur la voie publique. Cette réforme, menée sans concertation et d’abord dans un souci de pure rationalisation budgétaire, sacrifie tout à la lutte contre la petite et la moyenne délinquance.
C’en serait donc bientôt fini des « Brigades du Tigre », créées par Clemenceau en 1907 précisément pour pouvoir dépasser le cadre départemental et affronter la complexité des filières criminelles, une complexité nationale et internationale qui ne fait que se renforcer… Grand banditisme ou évasion fiscale pourraient demain être délaissés pour répondre à la politique du chiffre de Nicolas Sarkozy ressuscitée par son héritier Gérald Darmanin .
Au-delà de l’efficacité des enquêtes – et donc de la résolution des affaires –, c’est l’indépendance de la justice qui est menacée. Départementaliser la PJ, qui traite des dossiers les plus sensibles politiquement, fait craindre une perméabilité croissante entre les acteurs locaux de la sécurité et le pouvoir exécutif.
Le gouvernement doit laisser le temps aux missions d’information qui ont été lancées au Parlement de faire leur travail. La précipitation serait irresponsable et ne ferait pas taire les contestations sur le terrain.
La justice n’a pas besoin d’être ralentie ou davantage muselée, il faut la protéger ! Nous nous étonnons donc du silence assourdissant du garde des Sceaux. Nous attendons de sa part, en tant que garant de l’indépendance et du bon fonctionnement de la justice, une parole forte pour défendre un pilier de l’institution. »