« Dans les Ehpad, les contrôles sont inexistants »

J’ai accordé un entretien au quotidien Presse-Océan au sujet du contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ehpad).

Je vous propose de le lire ci-dessous :

Journal Presse Océan du vendredi 21 octobre 2022

Contrôles des Ehpad inexistants, «Orpea n’est pas l’exception» selon la sénatrice Michelle Meunier

ENTRETIEN. Le groupe Orpea, au cœur du scandale des Ehpad, « n’est pas une exception », constate l’élue PS, co-rapporteure cet été de la mission d’information sur le contrôle des Ehpad. Son travail a notamment mis en évidence l’absence de regard sur l’utilisation des milliards d’argent public déversés dans les 7 500 Ehpad de France, dont 25 % appartiennent à des groupes privés.

Presse Océan : Il a fallu le livre de Victor Castanet, « Les Fossoyeurs », sur les pratiques du groupe Orpea, pour que le Sénat mette en place une commission d’information sur le contrôle des Ehpad. Mais vous qui avez déjà publié plusieurs rapports sur la dépendance et le vieillissement, vous ignoriez la réalité de certains établissements ?

Michelle Meunier, sénatrice : « Non, certains des faits relatés et des pratiques relevées par Victor Castanet n’ont pas été une surprise pour moi, qui travaille sur ce thème depuis longtemps déjà et dont les deux parents ont passé de longues années en Ehpad. Mais oui, le livre m’est parfois tombé des mains en découvrant au fil des pages des maltraitances à ce point-là, comme ces résidents couchés dès 16 h 30 parce que le personnel n’est pas assez nombreux, n’a pas le temps. C’est inimaginable mais c’est bien la triste réalité de certains Ehpad publics, mutualistes ou privés. »

On découvre surtout, à la lecture de votre rapport, que les contrôles sont rares dans les Ehpad…

« Ils sont inexistants. Un Ehpad est contrôlé environ tous les vingt ans en moyenne, autant dire jamais. Et ces contrôles sont annoncés trois semaines à l’avance : la direction de l’établissement a le temps de s’organiser… »

Journal Presse Océan du vendredi 21 octobre 2022

Le fonctionnement des 7 500 Ehpad de France, c’est en gros 30 milliards dont 23 milliards d’argent public, le reste à la charge des résidents et de leur famille. Et personne ne s’intéresse à l’utilisation de cette manne publique ?

« C’est exact. Mais c’est aussi le cas pour les crèches ! Nous avons un problème en France avec le contrôle de l’argent public. Il y a bien des agents en charge de ces questions à l’ARS et à l’Inspection du travail mais ils ne sont pas très nombreux, ont d’autres tâches et ils travaillent tous dans leur coin. Les gestionnaires peu scrupuleux en jouent ; ils savent utiliser ces opacités. »

Les Départements, qui sont aussi d’importants financeurs, ne pourraient pas assumer cette mission de contrôle ?

« Ce n’est pas dans leurs priorités visiblement. Avec la crise sanitaire, ils avaient d’autres missions… Et pour être franche, on ne pensait pas que le scandale était à ce niveau. Nous avions des doutes sur l’immobilier, oui, tout n’était sans doute pas très clair. Mais sur les soins… Nous en sommes tout de même à près de 60 millions d’euros d’argent indûment perçu pour le seul groupe Orpea. »

Et vous écrivez qu’Orpea n’est « pas une exception »…

«L’affaire Orpea illustre les dérives du secteur privé et commercial dans la prise en charge de nos aînés : opacité financière, filialisation des établissements, optimisation fiscale, pression sur la masse salariale, précarisation du personnel, non-respect des règles comptables et des règles de sécurité, rationnement et maltraitance des résidents… Orpea, c’est un modèle de financiarisation du grand âge. Mais Orpea n’est pas seul. »

🔽 24 propositions pour améliorer la vie de nos aînés

La mission d’information sénatoriales a formulé une liste de « recommandations » au gouvernement. Certaines mesures figurent dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale, qui arrive devant les parlementaires.

Recommandations. La mission sénatoriale sur le contrôle des Ehpad a formulé 24 propositions. Par exemple ? Étendre les contrôles aux sièges des groupes privés lucratifs multi-gestionnaires d’Ehpad et attribuer des moyens supplémentaires pour toutes les vérifications. Ou encore transmettre à la Cour des comptes et ses chambres régionales la possibilité de contrôler les finances des différentes structures. Sans oublier le souhait de clarifier les règles d’imputation des dépenses de personnels, au cœur du litige entre la Sécu et Orpéa. Parmi les mesures envisagées figure aussi l’ouverture des conseils de vie à des personnes extérieures à l’établissement. Et que les familles aient un retour à tous leurs signalements de maltraitance. Le rapport a été présenté au ministre de la Santé. Certaines dispositions sont reprises dans le projet de loi de financement de la Sécu dont l’examen a débuté ce jeudi.

🔽 Un coût pour les familles

Reste à charge. Les questions de la vieillesse et de la dépendance, Michelle Meunier connaît. Depuis son élection en 2011, la sénatrice socialiste est membre de la commission des Affaires sociales du palais du Luxembourg. À son actif notamment, deux rapports sur « Vieillir chez soi, c’est possible » et « diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes ». Un sujet toujours d’actualité au moment où revient sur le devant de la scène le montant des pensions de retraite. « Le coût d’une place en Ehpad, c’est en moyenne 3 900 € par mois, répartis à parts égales entre l’État, le Département et le résident et sa famille. Le reste à charge est donc d’environ 1 300,00 € alors que les pensions des résidents, souvent des femmes à la carrière modeste et hachée, sont en moyenne de 900 €. Le calcul est simple : il en manque », remarque l’élue nantaise.

🔽 Facture Orpea : « La crédibilité de la parole publique est en jeu »

Le groupe, qui exploite cinq Ehpad en Loire-Atlantique, refuse de rembourser une partie des financements publics réclamés par l’État. Le ministre de la Santé de l’époque s’était engagée à récupérer les 58,8 M€ indûment versés.

Michelle Meunier, sénatrice PS de la Loire-Atlantique, et les membres de la mission d’information sénatoriale sur le contrôle des Ehpad, créée après la sortie du livre « Les Fossoyeurs » dénonçant notamment les méthodes du groupe Orpea, ont auditionné les responsables des principaux groupes leaders de ce secteur, dont ceux passés et actuels d’Orpea. Ce groupe gère plus de 220 Ehpad en France, dont cinq établissements en Loire-Atlantique, à Nantes, Saint-Sébastien-sur-Loire, Rezé, Batz-sur-Mer et Guérande.

Ils ont aussi auditionné la ministre de l’Autonomie de l’époque, éphémère ministre de la Santé du premier gouvernement d’Élisabeth Borne. L’État demandera le remboursement des financements publics qui auraient été irrégulièrement employés, en enclenchant, pour la première fois après un rapport de l’inspection des finances, une procédure de demande de remboursement de fonds publics​, a promis la ministre devant les sénateurs.

La pratique des « faisant fonction » discutée

L’État a alors fait ses comptes et réclamé 55,8 millions d’euros à Orpea. Mais il y a quelques jours, le groupe de maisons de retraite a livré son propre calcul : il accepte de reverser « seulement » 25,7 millions d’euros. Une somme correspondant selon lui aux remises de fin d’année octroyées par ses fournisseurs pour des achats qui avaient été financés par la Sécurité sociale, mais également, ainsi qu’il le précise dans son communiqué, au montant de deux impôts et à des frais d’assurance que le groupe avait intégré dans ses calculs pour demander des subventions publiques​.

Orpea conteste en revanche le remboursement de 30,1 millions d’euros que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) l’avait aussi mis en demeure de restituer fin juillet. Cette somme correspond à la rémunération de certains salariés du groupe qui « faisaient fonction » d’aides-soignants sans en avoir la qualification. La CNSA considère que ces salaires ne peuvent être pris en charge par les pouvoirs publics puisque les personnes concernées ne sont pas des aides-soignants. Mais pour Orpea, il n’y avait pas d’autre solution que d’embaucher des personnes non diplômées, dans un contexte général de pénurie de soignants​. Toujours selon Orpea, c’est là une pratique généralisée dans les Ehpad privés et publics, indispensable pour assurer la qualité de la prise en charge ».

Autant d’arguments qui ne parviennent pas à convaincre Michelle Meunier. On va bien voir comment cela va se terminer et si Orpea va payer ou l’État céder… Au-delà des millions, c’est la question de la crédibilité de la parole publique qui est en jeu.

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