Vies classées sans suite : pour l’adoption d’une loi cadre contre les violences de genre

En marge des premières Assises nationales contre les violences sexuelles et sexistes organisées à Nantes et de la journée internationale contre les violences faites aux femmes le 25 novembre, j’ai rejoint la liste des signataires de la tribune initiée par le collectif #NousToutes et publiée sur le site de Mediapart. Je reproduis cette tribune ci-dessous.

Nous exigeons l’adoption d’une loi cadre, réclamée depuis des années par des associations féministes et financée à hauteur de deux milliards d’euros par an, contre les violences de genre.

Pour que la parole des victimes : des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des enfants ne soit plus jamais remise en cause.

En 2017, nous étions des millions à témoigner pour dénoncer les violences  sexistes et sexuelles que nous avions subies et subissons encore. Nous avons poussé un cri de colère, habité·es par l’espoir que la société nous entendrait ENFIN et agirait. Mais 5 ans après la propagation de ce hashtag qui a révélé le caractère systémique et massif de ces violences, est-ce que les choses ont profondément changé ? Non !

5 ans après, les victimes parlent encore, mais que fait la société de leurs paroles ? Elle les méprise et les remet en cause, préférant la présomption d’innocence accordée aux hommes accusés et la présomption de méfiance à l’égard des victimes. Que font la société, la police et la justice quand des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des enfants témoignent ou portent plainte ? Elles acquittent les agresseurs et violentent à leur tour. Elles classent nos vies sans suite ! 

Nous parlons mais la société et les politiques refusent d’écouter. Nous multiplions les hashtags de #MeToo à #DoublePeine et ils n’agissent pas !

#MeToo avait offert l’occasion d’acter de politiques publiques efficaces, dotées du budget nécessaire pour en finir avec les violences de genre. Mais faute d’une réelle volonté politique, les soi-disant « grandes causes » des quinquennats et le Grenelle dédié n’ont pas produit de mesures à la hauteur. Le gouvernement aurait pu décider de politiques impulsant un changement en profondeur de la société. Il aurait dû. Mais au lieu de cela, il n’a rien fait, ou si peu que c’en est dérisoire. 

Et nous femmes, personnes LGBTQIA+, enfants continuons d’être discriminé·es, harcelé·es, agressé·es, violé·es. Nous continuons d’être tué·es.

Voilà la réalité, notre réalité.

Celle que nous endurons au quotidien ! 220 000 femmes se déclarent tous les ans victimes de violences conjugales ; plus de 700 féminicides ont eu lieu pendant les mandats d’Emmanuel Macron. 94 000 viols ou tentative de viols sont perpétrés chaque année en France mais seuls 0,6% des agresseurs sont condamnés ; 85% des personnes trans sont confronté·es à des agressions transphobes au cours de leur vie ; 165 000 mineur·es sont victimes de violences sexuelles chaque année et seulement 6% éloignées des agresseurs.

Notre réalité, c’est celle des violences psychologiques qui nous broient insidieusement, mais que la justice refuse de reconnaître. Oui, les insultes et le mépris quotidien sont des violences et doivent être reconnues comme telles.

Notre réalité, c’est celle de femmes précaires qui ne peuvent s’adresser à la justice parce qu’elles n’en ont pas les moyens. De victimes qui sortent plus appauvries et épuisées de leur parcours judiciaire. Celle de femmes racisées qui sont encore plus déconsidérées par la justice, et de femmes trans qui reçoivent des insultes transphobes de policiers lors des plaintes.

C’est celle d’enfants victimes d’inceste, de violences intrafamilliales et de pédocriminalité, abandonné·es à leur sort parce qu’on refuse de les écouter. 

Les victimes parlent. Mais que leur répond-on ? De porter plainte et de laisser la justice faire son travail. Alors que 65% des plaintes précédant des féminicides conjugaux sont classées sans suite, comme 80% des affaires de violences sexuelles. Alors que 46% des viols sont requalifiés en agression sexuelle. Nos parcours d’enquête et judiciaires sont émaillés de banalisation des violences, de refus de plainte, de violences sexistes et lgbtqiphobes.

Nous en avons assez des violences que nous infligent la police, la justice et la société lorsque nous parlons.

Assez de voir que les lois adoptées ne visent qu’à réprimer les auteurs une fois que les violences ont eu lieu, au détriment des mesures de prévention et de protection. La loi de juillet 2001 instaurant trois séances par an d’éducation à la vie sexuelle à l’école n’est toujours pas appliquée ; laissant les violences de genre se reproduire de génération en génération. 

Nous en avons assez de continuer à compter nos adelphes, mère, soeurs, ami·es, enfant·es, victimes de viol et d’inceste ou assassiné·es ; tandis que le gouvernement, lui, compte ses sous : faute d’un budget à la hauteur, il manque encore 15 000 à 30 000 places d’hébergement dédié aux victimes de violences conjugales. 

Mais pourrait-il en être autrement alors que les politiques, censés impulser des lois pour en finir avec les violences masculines, se refusent à agir face aux affaires ayant lieu en leur sein ? Comment pourrait-il en être autrement alors que le président de la République nomme des hommes accusés de violences sexuelles dans son gouvernement !? 

Pour en finir avec les violences patriarcales, nous ne pouvons nous contenter de réformes à la marge. Seul un profond changement de mentalité au sein de la société et des institutions peut le faire. Nous avons besoin de l’adoption d’une loi cadre sur les violences de genre, dotée d’un budget annuel de 0,1% du PIB (soit 2 milliards d’euros), et de réformes à tous les niveaux (accompagnement, prévention, protection). 

Une loi cadre qui instaurera un plan d’urgence pour la protection de l’enfance. Une loi qui permettra de déployer massivement tous les dispositifs de protection des victimes et d’augmenter les moyens alloués aux associations. Cette loi cadre doit aussi être l’occasion d’instaurer une aide financière pour toutes les victimes, et d’inscrire dans le marbre la formation obligatoire des profesionnel·les au contact des victimes. La justice et la police doivent aussi être remodelées, via la création de brigades et de juridictions spécialisées et formées, et l’inscription du terme féminicide et de la définition du viol basée sur le consentement dans le code pénal.

Ce changement de mentalité ne sera pas facile, nous le savons. Nous sommes prêt·es. 

Pour que nos vies ne soient plus classées sans suite, c’est aux politiques et aux institutions de faire changer cette société qui nous violente. S’ils ne le font pas, nous allons les y forcer.

Une loi cadre pour que nos vies ne soient plus classées sans suite. Nous l’exigeons, nous l’obtiendrons.

Liste des premières signataires disponible sur mediapart et liste de l’ensemble des signataires.

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