Il aura fallu plus de deux ans de navette parlementaire, depuis le dépôt du texte le 10 octobre 2013 jusqu’à l’adoption définitive de la loi le 6 avril 2016, pour enfin inverser la charge pénale et faire peser sur les clients la responsabilité du maintien du système prostitutionnel.
Rapporteure de la commission spéciale au Sénat en 2014 et 2015, puis membre de la commission mixte paritaire, je sais qu’il reste encore du chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités sur la prostitution.
Abolitionniste, je continue de penser que la prostitution sous toutes ses formes ne peut être réellement consentie et que la décriminalisation de ces violences sexuelles et sexistes serait une atteinte grave à la dignité selon la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Sept ans après la promulgation de la loi et au regard de ses effets positifs, j’ai signé la Tribune publiée dans Le Monde pour exhorter les pouvoirs publics à renforcer les moyens alloués aux parcours de sortie de la prostitution, à la lutte contre le proxénétisme, à l’éducation à la sexualité et à la diplomatie abolitionniste.
Je reproduis ici cette tribune :
« Il n’y a pas de liberté ni de consentement réel dès lors que l’acte sexuel est imposé par l’argent »
À l’occasion du septième anniversaire de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, et alors que selon eux la prostitution est de plus en plus banalisée au sein du débat public, des associations et des personnalités réclament, dans une tribune au « Monde », davantage de moyens pour faire appliquer la législation.
En 2016, la France faisait le choix nécessaire de mettre fin à la violence machiste que constitue la prostitution. Pour cela, une loi juste et courageuse a été adoptée prévoyant la dépénalisation des personnes prostituées (à 80 % des femmes et à 90 % d’origine étrangère), la mise en place de parcours de sortie de prostitution, d’actions de prévention, et l’interdiction de l’achat d’actes sexuels (commis à 99 % par des hommes).
La loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées comporte ainsi des mesures pour mieux protéger les victimes de ce système violent et pour s’attaquer à la demande pour l’exploitation sexuelle, sans laquelle le trafic d’êtres humains et la prostitution n’existeraient pas.
En 2017, le mouvement #metoo a renforcé la prise de conscience de notre société qu’il ne pouvait y avoir d’égalité entre les femmes et les hommes et de véritable liberté sexuelle tant que les hommes continueront d’infliger des violences sexistes et sexuelles aux femmes et aux filles.
Or, la prostitution sous toutes ses formes, y compris filmée, est une violence des plus extrêmes. Sexiste, raciste, florissant sur le terreau de la misère et des violences intrafamiliales, elle est à l’intersection de toutes les oppressions. Les nombreux témoignages des survivantes de la prostitution le démontrent : il n’y a pas de liberté ni de consentement réel dès lors que l’acte sexuel est imposé par l’argent.
Des effets importants
En sept ans, la loi a produit des effets importants :
— aucune personne prostituée n’a été condamnée (contre deux mille par an, avant la loi) ;
— au 1er janvier 2023, 643 personnes ont bénéficié d’un parcours de sortie. Parmi les personnes accompagnées par les associations du groupe FACT-S [Fédération des acteurs et actrices de terrain et des survivantes aux côtés des personnes prostituées], 87,5 % ont trouvé un emploi stable ;
— le nombre d’enquêtes criminelles concernant le proxénétisme et la traite a augmenté de 54 % dans les trois premières années d’application de la loi ;
— près de 2,35 millions d’euros confisqués aux proxénètes ont été réinvestis dans la protection et la réinsertion des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ;
— la société a pris conscience de l’ampleur de la prostitution des enfants et des jeunes, amplifiée par les outils technologiques modernes.
La banalisation s’accentue
Toutes ces avancées importantes ont eu lieu malgré un engagement timide de l’Etat dans la mise en œuvre de la loi.
Dans le débat public, la banalisation de la prostitution s’accentue. L’absence de parole forte de la part de l’Etat sur le sujet laisse la place à un courant ultralibéral qui assène au sein des institutions, de la presse et du mouvement social l’idée que « le sexe » pourrait être un travail comme un autre. De nombreux contenus sur les réseaux sociaux mettent en avant l’argent prétendument facile ainsi que l’épanouissement professionnel que procurerait cette activité.
Il ne peut pourtant exister d’égalité entre les femmes et les hommes et de véritable liberté sexuelle tant que les hommes continueront d’infliger des violences sexistes et sexuelles aux filles et aux femmes.
L’application des sanctions
Pour satisfaire l’ambition de notre politique publique, un réel portage politique et des moyens à la hauteur de l’enjeu doivent être engagés pour permettre :
— le déploiement d’au moins quatre mille parcours de sortie chaque année ;
— la lutte accrue contre le proxénétisme ;
— l’application des sanctions prévues par la loi à l’encontre des hommes qui achètent des actes sexuels à des femmes et des enfants ;
— la fin de la tolérance de l’État face aux arrêtés illégaux de pénalisation des personnes prostituées ;
— la formation de professionnelles et de professionnels, notamment celles et ceux qui prennent les plaintes des victimes, encore trop mal reçues dans les services de police ;
— la mise en place d’une réelle éducation à la sexualité, libérée des violences ;
— le renforcement de la diplomatie abolitionniste de la France sur la scène européenne et internationale.
Nous le clamons haut et fort à nouveau : une société ne peut pas prétendre bâtir l’égalité réelle entre les sexes quand les hommes, qui représentent la quasi-totalité des acheteurs d’actes sexuels, sont éduqués en sachant qu’ils pourront, un jour, imposer un acte sexuel par l’argent.
Sept ans après son adoption, notre pays doit redoubler d’efforts pour que la loi s’applique pleinement et avec des moyens à la hauteur de son ambition : plus que jamais, le mouvement féministe soutient l’abolition de la prostitution et demande à l’Etat de prendre ses responsabilités en déployant des ressources à même de garantir sa mise en œuvre effective pour toutes et tous.
Nous demandons des moyens à la hauteur des ambitions exprimées. Nous demandons des ressources suffisantes pour l’accompagnement des victimes. Nous demandons la justice, l’égalité et la dignité pour toutes les filles et pour toutes les femmes.
Premiers signataires : Alyssa Ahrabare, porte-parole d’Osez le féminisme ! ; Violaine De Filippis-Abate, porte-parole d’Osez le féminisme ! ; Jonathan Machler, directeur de la Coalition pour l’abolition de la prostitution-CAP international ; Claire Quidet, présidente du Mouvement du nid ; Laurence Rossignol, sénatrice (PS) de l’Oise, présidente de l’Assemblée des femmes ; Sabine Salmon, présidente nationale de Femmes solidaires ; Yves Scelles, président de la Fondation Scelles ; Céline Thiebault-Martinez, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF).