Depuis le début de cette période de confinement, plusieurs témoignage de cas de violences verbales, physiques ou symboliques exercées par des membres des forces de l’ordre à l’endroit de personnes d’origine immigrée habitant dans les quartiers populaires ont été partagées et rendues publiques. Aussi j’ai décidé de signer cet appel lancé au Premier ministre dont l’initiative revient à l’association SOS Racisme dont je reproduis ici le contenu.
« Monsieur le premier ministre,
Depuis le début du confinement, ont été filmés plusieurs cas de violences verbales, physiques ou symboliques exercées par des membres des forces de l’ordre à l’endroit de personnes d’origine immigrée habitant dans les quartiers populaires.
Outre qu’ils sont particulièrement irresponsables dans une période où les circonstances de nos vies sont sources de stress et de tensions, ces faits sont inadmissibles car ils contreviennent à un maintien de l’ordre respectueux des droits et de la dignité des citoyens.
Le dimanche 26 avril au matin, des agents de la police nationale ont tenu des propos qui ont créé, à juste titre, un émoi considérable. En effet, après avoir interpellé à l’Île-Saint-Denis un homme qui avait sauté à la Seine pour leur échapper, ces agents ont cru pouvoir adopter à son endroit un langage que l’on croirait sorti de l’époque de la Guerre d’Algérie : « Un bicot comme ça, ça ne nage pas. (…) Ça coule, tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied. »
Le racisme décomplexé qui s’exprime dans cette scène aurait sans
doute été nié si celle-ci n’avait pas été filmée. Il fait pourtant ici
écho à des témoignages récurrents des habitants des quartiers populaires
dénonçant depuis plusieurs années de bien trop fréquents comportements
de même nature qui se matérialisent par un éventail infini de mots, de
gestes, de pratiques et de regards.
Nous le savons, la tentation sera politiquement forte de réduire
cette nouvelle scène à un fait isolé et de se « contenter » de la
suspension – au demeurant justifiée – des deux agents sanctionnés.
Mais c’est un autre chemin que nous vous demandons de prendre. Ce que
nous vous demandons, c’est que soit enfin ouvert le chantier de la
lutte contre le racisme au sein de la police et la gendarmerie
nationales dont nous ne voyons d’ailleurs pas par quel miracle ils
seraient les seuls corps de la société épargnés par ce fléau.
En ces heures où même des voix parmi les syndicats de policiers s’élèvent pour s’alarmer de ces comportements et de l’ambiance délétère qu’ils créent et entretiennent non seulement entre la population et les forces de l’ordre mais également au sein même de celles-ci, vous avez l’éminente responsabilité d’affronter cette réalité contraire à l’esprit de la République.
Bien évidemment, nous savons parfaitement que ce chantier aurait dû
être ouvert depuis longtemps et que, à maints égards, vous héritez d’une
situation qui préexistait à votre entrée en fonction.
Mais, puisque c’est vous qui avez aujourd’hui l’autorité sur les
forces de l’ordre, vous avez la responsabilité d’assurer que ces
dernières se comportent en toutes circonstances en conformité avec la
loi et leur code de déontologie. Si cela n’est malheureusement pas le
cas, c’est aussi, au-delà des femmes et des hommes qui sont les porteurs
de pratiques et de propos racistes, en raison de logiques de maintien
de l’ordre, de pratiques hiérarchiques et de discours institutionnels
qu’il faudra profondément interroger.
Soucieux des principes de la République, nous vous demandons de
reconnaître l’existence d’un racisme au sein des forces de l’ordre qui
ne se traitera pas en le résumant à une succession de faits individuels
isolés, d’indiquer les voies que vous souhaitez emprunter pour le
réduire et de dessiner les modalités de dialogue et d’élaboration de
propositions auxquels beaucoup d’acteurs, au-delà même des signataires,
sont prêts à participer.
Notre exigence d’avoir des forces de l’ordre dont le comportement ne
contribue pas à fracturer encore plus notre société, n’empêche en aucun
cas le soutien et la compassion que nous leur témoignons lorsqu’elles
sont victimes d’actes de violence.
Répondre positivement à cette interpellation ne serait pas un signe de faiblesse mais le signe d’une démocratie capable de lucidité et de maturité sur un sujet où elles ont fait cruellement défaut depuis trop longtemps.
Liste des signataires
Crédit image : association SOS Racisme